Entrevue avec Robert Normandeau
Ned : Cela fait presque dix ans que tu composes en fonction d'une diffusion en multi-pistes. Quel était ton système au départ?
Robert : Très simple. Un Mac IIx, avec un échantillonneur Akai S-1000, un multipiste analogique Fostex (16 pistes) et quelques traitements. Et un dispositif d'écoute, modèle réduit à 8 haut-parleurs disposés en cercle autour de moi, que j'ai toujours d'ailleurs.
N : Comment se compare ta méthode de composition aujourd'hui avec la méthode que tu as utilisée pour réaliser Éclats de voix?
R: Essentiellement la différence tient dans le support d'écriture final. Avec la bande analogique, il fallait absolument tout prévoir en ce qui a trait aux niveaux d'enregistrement car le principe que j'avais retenu était le suivant: lors de la diffusion en salle, il ne fallait pas avoir à toucher les potentiomètres ou les égalisations en cours de diffusion. Avec un support numérique de type informatique, comme le Pro Tools, l'écriture des niveaux peut se faire au fur et à mesure et être corrigée en cours de composition en fonction des nouveaux éléments qui s'ajoutent. Alors qu'avec la bande, si je me rendais compte qu'un nouvel élément venait perturber l'équilibre existant, il fallait réécrire les passages déjà réalisés. Ce qui prenait beaucoup de temps.
N : Quand je compare tes oeuvres des années 80 avec celles que tu as composées en fonction d'une diffusion en multi-pistes, ces dernières me semblent plus plastiques, moins anecdotiques, et contiennent de nombreux exemples de sons en mouvement. Es-tu d'accord?
R: Cela dépend des cycles. Tangram, qui est ma première oeuvre véritable en multipiste, est une oeuvre à caractère référenctiel, qui s'inscrit dans le cycle des pièces de cinéma pour lOreille comme Rumeurs (Place de Ransbeck) ou encore Jeu. D'autres cycles sont plus abstraits comme celui des onomatopées avec Éclats de voix, Spleen et Le renard et la rose. Ou celui des citations comme Mémoires vives, Tropes et Venture.
Quant au mouvement, pour l'apprécier véritablement, il faut absolument être en situation de multipiste. L'aplatissement stéréophonique est très réducteur à cet égard.
N : Crois-tu que le fait de pouvoir entendre huit sources indépendantes dans ton studio augmente l'apport de la polyphonie dans ton travail?
R : Complètement, c'est même une condition sine qua non d'un véritable multipiste. Cette manière de composer n'est pas d'ordre complémentaire ou anecdotique. Sinon, quiconque transfèrerais une session Pro Tools sur un ADAT pourrait prétendre faire du travail multipiste. Or c'est plus complexe que cela. Il s'agit d'un véritable procédé d'écriture qui prolonge la méthode de travail de la musique concrète en lui ajoutant une dimension supplémentaire, celle de l'espace reél et non plus seulement simulé comme l'espace stéréophonique. Celui-ci était une bonne idée, une bonne simulation de notre écoute binaurale, mais le procédé a fait son temps.
N : De quel autre manière ton travail de composition a t-il été influencé par ton système?
R: L'écriture elle-même a été considérablement modifiée. En effet, à partir du moment où il faut tout déterminer sur le support final, où la technique du mixage n'existe plus comme procédé d'écriture, le travail de réflexion permanente de nos propres intentions devient déterminant dans la fabrication des oeuvres. Comme rien ne peut être laissé au hasard ou différé à une étape ultérieure de la composition, chaque élément sonore doit trouver sa place au fur et à mesure de la création de l'oeuvre. Cela peut paraître paradoxal, mais cela rapproche le compositeur d'électroacoustique du compositeur de musique instrumental dans le sens que comme ce dernier, on doit écrire définitivement les éléments musicaux au fur et à mesure qu'ils nous viennent à l'esprit. La différence cependant réside encore et toujours dans le fait que le compositeur de studio entend ce qu'il fait au fur et à mesure alors que le compositeur sur partition n'aura cette chance qu'en salle de répétition avec les musiciens, une fois l'oeuvre achevée.
N : Tes oeuvres sont présentées régulièrement en concert à travers le monde. Est-ce que tu as souvent l'occasion de présenter les versions multi-pistes de ces oeuvres?
R: De plus en plus. Tangram, qui date de 1992 et qui a été très peu jouée à ce jour a vu trois performances multipiste dans la seule dernière année! Je crois que cela tient au fait que ce mode de diffusion est maintenant une évidence, notamment parce que la lutherie s'y prête plus facilement. Et que ce mode de diffusion n'est plus considéré comme anecdotique. Je me souviens, qu'en 1994, le GRM m'avait invité à présenter Tangram au cours du cycle acousmatique. Lorsque je leur ai proposé la version multipiste, ils m'ont dit que c'était trop compliqué. Alors que cette année, cinq ans plus tard, le cycle au complet s'appelle Multiphonie!
N : Avec la popularité croissante du format DVD, l'auditeur moyen pourra bientôt entendre des versions multi-pistes de ton travail dans son salon. Qu'est-ce que tu penses de cette technologie et est-ce que tu comptes préparer une version Surround d'une de tes pièces?
R: Le format DVD est très prometteur. On attend simplement que les compagnies se mettent d'accord sur un format audio. Lorsque ça sera fait, tu peux être certain que je serai aux premières lignes pour produire mes pièces sur ce format. Imagine que ces musiquse puissent trouver un tel écho chez l'auditeur moyen pour reprendre ton expression, cela représente une chance exceptionnelle de voir cette musique présentée dans des conditions encore meilleures que celle que l'on connait actuellement.
Ned Bouhalassa
nedb@videotron.ca
Robert Normandeau
robert.normandeau@umontreal.ca
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