Entrevue avec Jean-François Denis
Ned Bouhalassa: L'étiquette empreinte DIGITALes célèbrera en janvier 2000 son dixième anniversaire. Elle est reconnue mondialement et reççoit régulièrement des éloges de la part des critiques. Comment est-ce que tu expliques ce succès?
Jean-François Denis: En 1990, il n'y avait pas de maison de disques indépendantes se spécialisant en musique électroacoustique--il y avait certes des étiquettes, mais toutes étaient des activités parallèles de studios ou d'organisations. Donc il y avait 'nouveauté'. Aussi, dès le début, empreintes DIGITALes s'est dotée d'une 'politique' artistique (autant sonore que visuelle) et s'est rendue très visible dans les milieux électroacoustiques et expérimentaux (par la parution de nombreuses publicités et l'envoi postal de nombreux catalogues). Donc il y avait la volonté de développer une signature, et de se faire activement connaître. Bien sûr le qualité des oeuvres reste première.
NB: Qu'est-ce qui t'a poussé à fonder ta propre compagnie de disque?
JFD: Personne d'autre ne voulait le faire. J'ai fait le tour des maisons de disques existantes (au pays) pour leur proposer de développer une sous-collection électroacoustique, mais sans succès. J'ai aussi discuté avec plusieurs compositeurs d'un vague projet de production de disques: tous étaient très intéressés à ce que… quelqu'un le fasse. Lorsque j'en ai parlé à Claude Schryer, celui-ci m'a dit qu'il pensait lui aussi fonder une maison de disques. C'est ainsi qu'en août 1989, nous avons fondé DIFFUSION i MéDIA (qui est aujourd'hui distributeur) et les disques empreintes DIGITALes et que nous avons conçu les 4 premiers projets de la collection (Calon, Normandeau, Thibault et "Électro clips").
NB: Lancer une nouvelle entreprise est toujours risqué et c'est encore plus vrai quand il s'agit d'une compagnie de disque de musique sérieuse. Avais-tu beaucoup de doutes au départ?
JFD: Les risques? Nous étions prêts à travailler, et avec l'indispensable complicité des compositeurs, il n'y avait que de beaux risques: produire de bons et beaux et généreux disques de musique que nous aimons. Je crois, au contraire, qu'il faut du risque, afin de toujours se redéfinir, se questionner (même si parfois on aboutit à la position de départ). Les doutes? Je me demandais ce que j'étais pour faire avec 1000 exemplaires (alors la quantité minimale) d'un même disque chez moi: Comment faire pour les faire entendre? les distribuer? les vendre? Car il nous fallait pratiquement tout inventer pour rejoindre le public! (Nous ne savions même "où" était réellement ce public!)
NB: Le premier disque double de Francis Dhomont, avec son livret généreux, fut lancé en grande pompe lors de deux concerts exceptionnels. Est-ce qu'il s'agit pour toi d'un de tes lancements les plus mémorables? Était-ce un de tes projets les plus fous?
JFD: Les lancements montréalais ont souvent été assez fous: au Planétarium; déguisé en fête-concert; "café, croissant" à 7h le matin; dans des boîtes "disco", des bars punks. Bien sûr le lancement du coffret Dhomont était important (mais, pour mémoire, le lancement n'était qu'un petite partie de la soirée qui était une célébration du 65e anniversaire de Francis Dhomont, avec |'oeuvre-collage-hommage de ses étudiants, assemblé par Gilles Gobeil. Il y a eu aussi des lancements à Vancouver, à Norwich (UK), à Toronto, à Birmingham (ÉU), à Paris…
NB: L'image de ton étiquette est immédiatement reconnaissable. Ce qui frappe toujours est l'attention qui est portée envers la qualité du travail graphique. Pourrais-tu décrire le rôle de Luc Beauchemin?
JFD: Luc Beauchemin a conçu la première refonte graphique de 1991 (avec le Daoust), et la seconde en 1996 (avec le Harrison). (La boîte cartonnée "OPAK", utilisée depuis 1996, est une conception commune.) Quant à l'image de couverture, c'est le compositeur qui la propose ou qui la commande à un artiste. (Luc Beauchemin étant aussi illustrateur-infographe, certains images de couverture sont ses créations.)
NB: Les seuls disques de ton étiquette qui regroupent des oeuvres de plusieurs compositeurs sont les disques de clips ("Électro clips" et "Miniatures concrètes"). Pourquoi ne regroupes-tu pas des pièces de durée normale de plusieurs compositeurs dans un même disque?
JFD: Car je trouve ce genre de disques très ennuyeux à écouter. Chaque CD empreintes DIGITALes est la représentation d'une seule "pensée" musicale; à titre d'auditeur cela me plaît énormément. Les deux exceptions notés ont un "concept" très fort et assez inusité (surtout en 1990): celui la pièce électroacoustique entière de trois minutes. Je crois que ces disques s'écoutent bien grâce à cette unicité.
NB: Comment est-ce que tu choisis les projets de disques?
JFD: D'abord par les musiques (entendues en concert, lors de festivals--mais très rarement via les "démos" reçus par la poste) et ensuite par la démarche, par l'intégrité de la démarche du compositeur.
NB: Comment est-ce qu'un compositeur peut t'intéresser à un projet de disque?
JFD: Difficilement en fait, puisque je croule déjà sous le courrier quotidien--parmi lequel il y a quelques fois un "démo"--et que je suis passablement débordé. Mais disons que lorsqu'un compositeur m'est recommandé par un collègue, cela va beaucoup mieux. (Il ne faut pas oublier par contre que la production d'un CD demande principalement du financement.)
NB: Qu'est-ce que tu penses de la distribution de musique par Internet? Est-ce que tu projettes un jour d'offrir à tes clients d'acheter des pièces qui peuvent être téléchargées?
JFD: Le disque compact n'est qu'un support. Son avantage sur les supports antécédents est sa qualité sonore--dans le cas des musiques électroacoustiques-- sa durée et sa longévité. Dès qu'il y aura un autre support offrant une grande qualité sonore… il faudra offrir les musiques dans ce format. Cela va de soit. Donc la réponse est oui.
NB: Tu as écrit plusieurs oeuvres durant les années 80. Est-ce que tu penses un jour faire un disque à partir de tes oeuvres?
JFD: Quelques pièces tiennent peut-être encore la route (dix et quinze ans plus tard). Je n'y avais pas vraiment pensé. Qu'en penses-tu?
Ned Bouhalassa
nedb@videotron.ca
Jean-François Denis
info@electrocd.com
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