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L'environnement sonore de Vancouver

R. Murray Schafer, Barry Truax, Hildegard Westerkamp, Susan Frykberg, Darren Copeland, Claude Schryer, Sabine Breitsameter and Hans Ulrich Werner

CD1: The Vancouver Soundscape 1973
CD2 : Soundscape Vancouver 1996

Cambridge Street Records
CSR-2CD 9701

Ces deux CDs sont composés d'extraits des enregistrements de paysages sonores originaux de 1973 et de "Vancouver revisited 1996". Ce sont quelques uns des meilleurs CDs que j'aie entendu. Beaucoup de personnes de la communauté électroacoustique canadienne connaissent le terme écologie acoustique et les idées mises de l'avant par R. Murray Schafer et le World Soundscape Project en 1973. Pour ceux qui ne les connaissent pas, les notes accompagnant les CDs expliquent le but du projet assez clairement.

Le but du World Soundscape Project est de rassembler les recherches sur les aspects scientifiques, sociologiques et esthétiques de l'acoustique de l'environnement.

Ces disques parlent de l'écoute elle-même. Nous sommes d'autant plus impliqués quand l'expérience d'écoute s'imbrique à la composition musicale. Nous vivons dans un monde de basse fidélité (lo-fi), constamment bombardés d'informations sonores redondantes. Avec ces disques, il s'agit véritablement d'expérience de haute fidélité (c'est-à-dire où on offre à l'auditeur actif un haut degré d'informations. A l'inverse, l'environnement de basse fidélité offre peu ou pas d'échange d'information avec l'auditeur: l'auditeur est essentiellement passif). Comment ces disques ont-ils réussi à rendre l'environnement sonore? Il est difficile pour moi de le dire, car je n'ai jamais visité Vancouver. Je suis cependant sensible aux préoccupations des artistes impliqués ici et dans ce sens j'ai l'impression que leurs représentations sont aussi claires et informées qu'elles peuvent l'être. On peut très bien entendre l'attention portée au procédé de capture sonore.

Avec ces deux enregistrements des années 70 et 90, il est possible de comparer les changements du paysage sonore. Non seulement l'ambiance générale, mais aussi les gens, la vie, les émotions et les sentiments.

Le premier disque est formé d'extraits des enregistrements d'origine du Vancouver Soundscape, un projet initié par les participants du World Soundscape Project à l'Université Simon Fraser en 1972. L'étude détaillée de la communauté acoustique de Vancouver est envahie d'eau, de sirène et d'avions, de façon toute naturelle. Il y a une vaste impression d'espace. Les juxtapositions subtiles des extraits sonores capturent l'essence des marques sonores.

L'attention au détail et au temps apporte à l'auditeur un sens de lieu. Je ne me vois pas étant "là", mais je peux m'imaginer comment ce pouvait être d'écouter Vancouver en 1973. La qualité obsédante de la piste 5 "la musique pour sirène et sifflet" vibre avec (ou contre) mon éducation urbaine, et peut-être aussi avec la pensée mélancolique que la radio et les communications par satellite sont en train de faire taire ces voix distinctes; une autre raison pour la prévoyante documentation de ces objets sonores. Pas ce qu'ils sont, mais ce qu'ils font, ce qu'ils veulent dire.

La musique des différents quartiers nous apporte un soulagement après les lourds commentaires politiques dissimulés dans les premières pièces, et nous informe que la communauté acoustique inclut naturellement les citoyens. Le livret nous explique que les traces sonores d'intérêt peuvent en inspirer plusieurs et en irriter quelques-uns; mais en essayant de plaire à tous, le milieu de la création sonore est devenu, sans le vouloir, si "tapageur". Ces résonances sont restées avec les artistes qui les ont enregistrées et les ont suivi dans leurs compositions. Le "Vancouver O Canada Horn" est l'une de ces idées fixes, à plus de 100 décibels, qui peut sembler obsédante et romantique vue de loin, mais qui n'est que laide et gênante de proche.

Le premier disque nous fait entendre des sons d'océan, d'ambiance portuaire, d'importants repères sonores et un enregistrement du Nouvel An dans le port de Vancouver (avec tous les événements qui accompagnent ces festivités), et nous offre aussi la chance d'entendre le mélange culturel de Vancouver et les réflexions d'Herbert George (indien Sqamish) avec ses interjections sur l'"homme blanc".

Finalement, nous sommes invités à entendre un entretien avec R. Murray Schafer sur le bon et le mauvais design sonore à Vancouver. Très fascinant.

J'ai essayé de ne pas utiliser le mot musique, comme le fait le premier livret, mais sa présence se fait sentir plus fortement dans le deuxième disque. Schafer nous indique comment il est possible de composer avec cette palette qu'est le design sonore. Décrire la musique du monde n'est pas seulement trouver des sons que l'on pense être musicaux, mais un procédé de composition avec les sons du monde à l'intérieur du monde.

Arrivent les années 90 avec des compositeurs tels Barry Truax, Hildegard Westerkamp, Susan Frykberg, Darren Copeland, Claude Schryer, Sabine Breitsameter et Hans Ulrich Werner, continuant la tradition, pour ainsi dire.

On peut faire une comparaison entre le Vancouver Soundscape tel qu'il était et tel qu'il est actuellement, non seulement de notre propre perspective (en écoutant les deux disques l'un après l'autre), mais également en écoutant l'interprétation de ces compositeurs face au matériel sonore d'alors et d'aujourd'hui.

Le livret nous informe que les sons et les méthodes de classement des sons ont changé radicalement. La grande différence réside dans le fait que de plus en plus de gens ont accès à la technologie leur permettant d'enregistrer des sources sonores et de les utiliser hors contexte. Le deuxième disque présente une approche plus individuelle que le premier, fait dans un style plus documentaire.

La première pièce nous fait entendre des sons portuaires familiers dans un style similaire au premier disque. Darren Copeland (Recharting the Senses) présente ensuite un extrait tiré de son chef-d'oeuvre d'une heure intitulé Life Unseen. Le sujet en est la perception aigüe de la communauté de gens aveugles envers notre monde essentiellement dominé par le visuel. Cela nous donne l'occasion d'écouter au-delà de la musicalité latente des sons et de chercher les significations variées et essentielles qui peuvent être découvertes par une écoute attentive.

J'ai été intrigué d'apprendre que les artistes ont été invité à écouter et à travailler avec les enregistrements provenant des archives. L'approche de Sabine Breitsameter est intéressante car elle reçut le matériel alors qu'elle vivait à 5000 milles de là. Maintenant, je l'entends écouter ces matériaux sonores. Elle a travaillé avec ces sons pour en faire resortir une `Eigenleben', une vie propre qui siet parfaitement à la présentation et à la dissémination par le médium du disque compact.

C'est une bonne idée d'avoir pris du matériel provenant des enregistrements originaux. Toutes les pièces apportent des points de vue et des questionnement très personnels dans le monde des nouveaux paysages sonores. Tel est le cas de la pièce Vanscape Motion de Hans Ulrich Werner. Le flux et reflux d'une syntaxe essentiellement musicale est dirigé par un personnage caché qui est peut-être cette musicalité latente et ses sens variés.

Parfois, cette orchestre du monde refuse de jouer dans le temps et allonge nos perceptions, nous donnant le temps de, comme le dit Barry Truax, résonner dans nos mémoires. Pacific Fanfare offre une vue contemporaine sur 10 repères sonores de Vancouver.

Claude Schryer revisite le paysage sonore de Vancouver avec une approche plus traditionnelle, orchestrant une selection de matériel, catégorisé par les caractères intrinsèques du son tel le spectre, les catégories, la fonction, la hauteur et le contexte. Suivant la connaissance de chacun pour le paysage sonore de Vancouver, et une fois arrivé à la pièce no.7 du disque, cela peut nous sembler un collage excitant ou une scène d'horreur invivable.

Finalement, dans un style semblable au premier disque, Barry Truax et Hildegard Westerkamp retracent les étapes des enregistrements de 1973 dans un autre entretien. Dommage qu'il n'y aie pas eu de prédictions pour l'avenir - ou peut-être se trouvent-elles dans la musique?

Laissez-moi résumer: un des meilleurs (et des mieux produit, humble, créatif) catalogues d'espace, de son, de musique et de temps. De quoi nous faire réfléchir. Je suis honoré de posséder une copie de ce disque, qui est une rare édition.

Traduction: Yves Gigon

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